“Eliette Christen (1927-2016), née entre les deux guerres, mariée très jeune, a conjugué la famille et son activité professionnelle pour satisfaire une curiosité inlassable à comprendre l’Homme et son destin entre Ciel et Terre. Au cours de sa vie active, sa recherche s’est focalisée de préférence sur la hernie discale et les arthroses, maladies de société, qui lui ont fait pénétrer l’espace intérieur douloureux de l’être humain. Ce parcours lui a permis d’aborder le CORPS sous divers aspects et d’en tirer la synthèse d’une thérapie harmonisante par le Souffle. “
« Au centre du corps, le souffle », Élie Christen,
Éditions Loisirs et Pédagogie, 1996
Née en campagne vaudoise (en Suisse) dans un milieu modeste, Mme Christen est élevée par une mère de santé solide, et un père amoureux de la nature, qui a su lui faire observer les arbres, les plantes, les champignons et tous les animaux peuplant nos forêts. Scolarisée dans un couvent austère de “bonnes sœurs”, elle dit que cette ambiance a été cependant profitable à l’éclosion d’un calme intérieur utile pour la suite de sa carrière. À la fin de la guerre, elle obtient un diplôme de commerce qui lui offre peu de possibilité d’épanouissement, alors qu’elle aurait préféré suivre des études gymnasiales, à l’époque peu ouvertes aux filles.
C’est en tant que secrétaire médicale qu’elle exerce son premier emploi. À défaut d’opérer, elle prend conscience de l’importance de la relation thérapeute-malade et acquiert des notions de soins de base et des approches de diagnostics. C’est une période éprouvante durant laquelle elle assure son emploi et sa vie de femme mariée à une époque (après-guerre) où les conditions de la femme ne laissaient guère la liberté de vivre selon ses désirs.
Elle troque ensuite son emploi contre celui de secrétaire dans différents domaines, notamment mieux rémunérés, jusqu’au jour où elle rencontre une ancienne camarade d’école qui l’embarque pour ouvrir un institut d’esthétique. C’est cependant dans les confidences des femmes, les conflits, les tiraillements – à une époque où la pilule n’existait pas – les devoirs d’épouses, les maternités non désirées, qu’elle trouve sa motivation à exercer son nouveau métier. Là, elle est couverte d’éloges à propos du pouvoir calmant de ses mains, dispensatrices d’énergie. Elle décide alors de suivre les cours d’une école de physiothérapie.
Enceinte, elle consacre son temps de maternité pour étudier, et notamment les nouvelles idées sur l’accouchement sans douleur, introduit en France par le Dr Lamaze. Elle décide alors d’essayer seule cette technique, et c’est à pied qu’elle se rend à la maternité pour un accouchement sans problème et effectivement sans douleur. En 1957, elle débute son école de physiothérapie à Lausanne. Elle réalise cependant son impuissance face à des situations difficiles, notamment de paralysie cérébrale chez une mère de deux enfants en bas âge. Curieuse, chercheuse, elle s’intéresse aux thérapies proposées par Mme Bobath pour les enfants handicapés moteur. Elle réalise par ailleurs l’unicité du corps humain, notamment dans le cas d’hémisyndromes, où elle constate des modifications de la personnalité.
Lors d’un stage en neurologie dans le service du Professeur Guy Tardieu, elle confirme son penchant pour cette discipline. Elle travaille alors dans un groupe d’hôpitaux de Sécurité sociale du nord de la France, au sein d’expériences novatrices inconnues dans les services hospitaliers suisses. De retour au pays, elle assume d’abord une place de responsable dans un institut genevois avant d’accepter un poste de chef du service de rééducation de l’Hôpital Cantonal de Lausanne qu’elle réforme dans son intégralité en conduisant une nouvelle ligne de soins actualisés et modernes. Confrontée à gérer des conflits incessants, elle finit par ouvrir son cabinet pour enfin travailler seule et à sa manière.
Rapidement, son cabinet privé est assiégé par les demandes et elle craint de sombrer dans une routine, voire devenir une machine à produire. Compétente pour soigner dans des domaines de thérapies physiques, neurologiques et psychosomatiques, elle accepte cependant une grande variété de cas de tous âges et toutes classes sociales afin d’acquérir une expérience aussi large que possible, tout en accordant à chacun le temps nécessaire afin de peaufiner la qualité de ses actes.
Suite à un congrès à Barcelone sur la sophrologie, soit un amalgame de techniques de relaxation selon Schultz, de Yoga et de Zen, elle réalise que sa pratique physiothérapeutique contient des zones d’ombre. Elle décide alors de chercher du côté du Zen, promu en Europe par Taisen Deshimaru. Elle se rend au Japon en 1974 avec un groupe de moines Zen pour un séminaire de retraite méditative. Là, par une nuit sombre, poussée par un besoin urgent et naturel, elle sort du temple et fait une chute de dix mètres dans un fossé. Péniblement, elle regagne sa couche où Taisen Deshimaru lui dit, après s’être assuré que rien de grave n’était survenu : “Bouddha a voulu vous éprouver, méditez et acceptez”.
Peu inquiète, car elle pressentait en effet que rien de vital n’était arrivé, elle décide de poursuivre le séminaire et de pratiquer sur elle-même la réhabilitation morphologique avec le Souffle. C’est en rentrant en Suisse qu’elle apprend qu’elle s’est effectivement cassé quatre côtes entre le bord de l’omoplate droite et la colonne, un os du pied droit, un os de la main gauche et fait de multiples ecchymoses sur la partie postérieure du bassin. Cet accident n’affecte en rien les souvenirs de l’ambiance silencieuse et merveilleuse du monastère et même la rudesse de son Maître. Elle comprend à cet instant ce qu’est la véritable liberté de l’illumination.
Toujours persévérante, elle constate que sa formation comporte des lacunes sur le plan des connaissances psychologiques. Elle prend alors contact avec le psychothérapeute et philosophe allemand Karlfried Graf Dürkheim, qui manifeste également un intérêt pour le Zen dont elle a sondé les profondeurs au Japon. Avec l’aide de ce dernier, elle prend conscience et libère quelques “défauts” qui entachent encore sa cuirasse pour l’inviter ensuite à marcher en direction de son centre spirituel en s’initiant à la mystique de Maître Eckart.
Avec Françoise Mézières, elle aborde la construction du corps selon le nombre d’or et les lois de la symétrie, mais elle va plus loin, en étudiant les lois régissant l’Harmonie du corps, comme par exemple Léonard de Vinci et Vitruve. Elle prend conscience et intègre le Souffle profond dans une pratique moins agressive que les postures physiothérapeutiques, ceci notamment pour agir efficacement lorsque les émotions sont très présentes dans les causes des adaptations négatives de la morphologie.
Ainsi, progressivement, en intégrant intuitivement ce qui lui a semblé bon au travers de multiples sources, elle construit, développe et ajuste une synthèse de son approche du corps et du mental pour donner naissance à sa technique propre, soit la “morpho-psychothérapie par le Souffle profond”.
Par chance, mon chemin et celui de Mme Elie Christen se sont rencontrés dans le courant de l’été 1993, alors que j’étais au plus mal et que sa thérapie était déjà éprouvée.
Lorsque je la rencontrai pour la dernière fois en 2011, Madame Christen avait 83 ans. Elle me prodigua un dernier soin sur une natte déposée à même le sol de son salon. Sa démarche était toujours aussi souple et élégante que son esprit vif et éveillé.
“À Eliette Christen, je dois ma santé d’aujourd’hui et certainement ma survie. Elle n’est plus là pour l’entendre, mais je la remercie et j’espère de tout cœur inscrire mon livre comme le prolongement de son œuvre qui n’a pas trouvé l’écho qu’elle aurait mérité.”